Accueil Economie Supplément Economique L’entretien de la semaine | Skander SALLEMI, président de l’Association Tunisienne pour la Gouvernance Fiscale, à La Presse : «La refonte du système fiscal nécessite un nouveau modèle de développement»

L’entretien de la semaine | Skander SALLEMI, président de l’Association Tunisienne pour la Gouvernance Fiscale, à La Presse : «La refonte du système fiscal nécessite un nouveau modèle de développement»

 

«Le projet de loi de finances 2023 ne peut pas comporter une refonte du système fiscal national. A mon avis, le ministère des Finances ne devrait pas assumer seul une telle mission, surtout qu’il s’agit d’une question complexe qui génère un impact économique et social sur plusieurs parties prenantes qu’il convenait d’associer autour d’un projet inclusif, participatif et équitable ».

Bien que les contours de la loi de finances 2023 ne soient pas encore précisés, le PLF 2023 fait déjà l’objet de concertations entre l’administration fiscale et les parties prenantes. Quelles sont, d’après vous, les principales mesures fiscales qui devraient être introduites dans ce projet ?

Suite à l’exposé des grandes lignes du projet de loi de finances 2023 au sein du Conseil national de la fiscalité, le ministère des Finances a tenu plusieurs réunions avec les différentes parties prenantes autour des mesures fiscales présumées.

En ce qui concerne les principales mesures fiscales qui devraient être introduites, en nous fiant aux propos de certains membres du Conseil national de la fiscalité et au document partagé sur les réseaux sociaux qui reste à ce jour officieux selon le communiqué du ministère des Finances, le projet de loi de finances 2023 se compose de 47 dispositions. Ces dernières prévoient plusieurs augmentations des taux d’impôt ainsi que l’élargissement de l’assiette de la TVA et du droit de timbre. Ce projet comporte également des dispositions relatives aux délais de restitution ainsi que la révision du traitement fiscal de la plus-value provenant de la cession des titres de participation et d’autres mesures concernant la lutte contre l’évasion fiscale.

Une refonte en profondeur s’annonce pour le système fiscal national dans le cadre du projet de loi de finances 2023. Plusieurs nouveautés sont attendues pour accompagner la relance de l’économie nationale et alléger la pression fiscale sur la classe moyenne dans un contexte inflationniste instable. Que préconisez- vous pour l’exécution d’une telle refonte ?

Selon le projet partagé sur les réseaux sociaux et en se basant sur les échanges avec les responsables du ministère lors de la réunion du 18 novembre avec la ministre des Finances, le projet de loi de finances 2023 ne peut pas comporter une refonte du système fiscal national. A mon avis, le ministère des Finances ne devrait pas assumer seul une telle mission, surtout qu’il s’agit d’une question complexe qui génère un impact économique et social sur plusieurs parties prenantes qu’il convenait d’associer autour d’un projet inclusif, participatif et équitable.  Une refonte du système fiscal nécessite d’abord un préalable, à savoir une vision et la définition d’un nouveau modèle de développement pour le pays, chose qu’aucun gouvernement n’a pu faire jusque-là.

S’il existe dans le projet quelques mesures bénéfiques aux entreprises, telles que la prise en charge d’une partie des intérêts des prêts accordés aux agriculteurs, les autres mesures ne peuvent en aucun cas être considérées comme étant des mesures prises en faveur de la relance économique. Les prérequis pour toute relance économique sont d’abord la stabilité du système fiscal, le renforcement de la sécurité juridique des entreprises et une administration fiscale transparente, équitable et efficace.

Or, en l’occurrence, bon nombre des mesures envisagées pèseront plutôt sur la compétitivité des entreprises et sur le pouvoir d’achat des citoyens par l’augmentation des taux de la TVA et du droit de timbre, sans oublier l’augmentation de la contribution solidaire et sociale.

Le ministère des Finances a publié, le 9 novembre 2022, un décret fixant une nouvelle liste d’activités exclues d’office du régime forfaitaire et passant au régime réel à compter du 1er janvier 2023. Ce décret représente une mini-révolution dans le système fiscal tunisien, dominé jusque-là par les nombreuses activités économiques bénéficiant du régime forfaitaire et qui doivent désormais se plier aux règles du régime réel à compter du début de l’année prochaine. Quelle est votre appréciation sur cette mesure ?

Le régime forfaitaire est un régime dont la philosophie se base sur l’inclusion dans le système fiscal des petits commerçants, des artisans et des petits métiers selon des critères clairs et prédéfinis dont le plus important est celui du chiffre d’affaires. Ce régime a été conçu pour répondre aux besoins des petits contribuables en proposant la simplification de leurs obligations et la réduction de leur coût.

Malheureusement, ce régime, a priori vertueux, a été visé par une campagne de dénigrement injustifiée qui le considère comme un foyer pour l’évasion fiscale et pour justifier des mesures prises par le ministère des Finances depuis des années. En effet, ces mesures ont commencé par le retrait des garanties de droit qui mettaient à la charge de l’administration l’obligation de motiver et de notifier ses décisions aux personnes concernées et leur accorder le droit de contester ces décisions de retrait devant la justice. Or, ces dernières sont restées à ce jour sans aucune évaluation.

Le décret promulgué le 9 avril dernier a élargi la liste des activités à exclure du régime forfaitaire en se basant sur la nature de l’activité. Or, le critère de la nature de l’activité ne peut pas être un critère objectif contrairement au critère du chiffre d’affaires qui nécessite à son tour une mise à jour pour tenir compte de l’inflation.

A mon avis, cette démarche sera inéluctablement contreproductive, puisqu’au lieu d’améliorer les recettes, elle ne fera que déclasser les contribuables du régime forfaitaire qui se retrouveront pour la plupart d’entre eux forcément en infraction par rapport à leurs nouvelles obligations.

Ceci est d’autant plus vrai que la grande majorité des contribuables concernés ne seront pas en mesure de supporter ni le formalisme du régime réel telles que la tenue de registres paraphés, la gestion de pièces comptables, etc., ni les coûts des nouvelles obligations prévues comme les honoraires de la tenue de comptabilité.

Il faut noter, par ailleurs, que bon nombre de contribuables ont fait l’objet d’un retrait du régime forfaitaire à leur insu puisque la législation actuelle n’a pas cru opportun de mettre à la charge de l’Administration fiscale une obligation d’informer les contribuables concernés de ses décisions. Pis encore, elle ne prévoit pour ces derniers aucun droit de contestation ou de recours contre les décisions de l’Administration fiscale. D’ailleurs, plusieurs contribuables se sont retrouvés dans le régime réel sans le savoir, ce qui les a exposés à un paiement de pénalités de retard relatives aux déclarations mensuelles d’impôt.

Beaucoup d’experts ont conseillé le ministère de revenir à une solution ancienne, facile et éprouvée, celle du forfait optionnel. Cette solution consistait à permettre à des personnes dans le régime forfaitaire d’accéder à un palier de chiffre d’affaires supérieur en payant une contribution annuelle fixe plus élevée.

Le PLF pour l’exercice 2023 prévoit également un ensemble de mesures permettant de contribuer à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ?

Le PLF prévoit des mesures pour lutter contre l’évasion fiscale dans le secteur de la distribution de la bière et des boissons alcoolisées en prévoyant de soumettre les distributeurs à une avance au titre de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés au taux de 10% calculé sur la valeur de leurs achats auprès des industriels.  Le projet prévoit aussi des dispositions applicables aux distributeurs des cartes de recharge téléphoniques et l’augmentation du taux de l’avance d’impôt payée sur les importations en fonction de la situation fiscale de l’importateur. Il prévoit également l’habilitation du chef de la brigade d’investigation et de la lutte contre l’évasion fiscale pour saisir le parquet dans le cadre des infractions fiscales relevées.

Dans le contexte actuel, marqué par une hausse importante des prix, quelles sont, selon vous, les mesures que doit contenir le PLF 2023 pour protéger le pouvoir d’achat des ménages ?

Il est important de préciser que les dispositions fiscales prévues par les lois de finances durant les années passées ont contribué à la hausse des prix avec un impact direct sur le pouvoir d’achat des ménages. Les mêmes causes donnant les mêmes effets, les dispositions relatives à l’augmentation des taux et à l’élargissement de l’assiette de la TVA et du droit de timbre ainsi que l’augmentation de la contribution sociale et solidaire prévues dans le projet actuel auront aussi, à leur tour, un impact sur le pouvoir d’achat des ménages.

En outre, l’augmentation de la TVA sur les honoraires des professions juridiques et comptables ne manquera sans doute pas d’avoir un impact sur le coût de ces prestations et sur le coût de l’accès à la justice. Ceci n’est-il pas un nouveau degré de difficulté non nécessaire, surtout dans le contexte inflationniste actuel ?

On croit savoir que le projet de loi de finances prévoit aussi l’instauration d’un impôt sur la fortune, proposé par le ministère des Finances, dans la version finale du projet qui a été présentée au Conseil national de la fiscalité. Quels sont les avantages d’une telle mesure ?

Le seul avantage visible consiste à disposer de ressources fiscales supplémentaires. Sachant que nous avons déjà dans le code de la fiscalité locale une taxe sur les immeubles bâtis, que l’administration ne fait rien pour en améliorer le rendement, et qu’elle n’arrive pas encore à la collecte d’une manière efficace.

Telle que conçue, cette mesure est dépourvue de tout argument économique et ne permet pas une application équitable et transparente, surtout que l’assiette de cet impôt est constituée de la valeur des biens immobiliers, dont l’évaluation est laissée au libre arbitre de la seule administration fiscale.

Cela est d’autant plus flagrant qu’elle a exclu de son champ d’application les personnes morales, sachant que, c’est justement ces dernières dont un bon nombre peut être considéré comme des rentiers au vu du patrimoine immobilier qu’elles accumulent. Ceci exclut de facto d’importantes ressources. Une amélioration de la taxe sur les immeubles bâtis aurait été à mon avis plus judicieuse et plus efficace.

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